Le mur

Publié le par Grantaire

Le mur

Un homme allait à grand pas. Il avait la manie d'être toujours à l'heure. Il courait partout, toujours pressé, allant sans cesse au devant des événements. C'était un de ces hommes qui, le soir, à peine couché, tombent dans leur lit d'épuisement. Cet homme se pressait donc. Il avait rendez-vous, bien sûr. Avec qui ? Nous le saurons bientôt.

Car il se passa quelque chose de tout à fait extraordinaire : le ciel lui cogna le crâne - du moins c'est ce qu'il pensa au moment où les ténèbres l'enveloppèrent. Quand il reprit connaissance, des gens se massaient autour de lui. Il interrogea celui d'entre eux qui était le plus près :

"Mon brave Monsieur... que diable m'est-il arrivé ?

- Le mur, dit l'autre en hésitant.

- La mort ?, dit le premier, encore troublé.

- Croyez-le ou non mais le mur vous est tombé dessus.

- Expliquez-moi.

- J'étais derrière vous lorsque c'est arrivé. Vous alliez d'un bon pas, quand soudain le mur que vous longiez s'est écroulé de votre côté.

- Écroulé ?

- Exactement et si je ne voyais pas le mur étalé devant moi, je n'y croirais toujours pas."

L'homme suivit son regard et fut tout surpris de voir que ses pieds avait disparu derrière un large pan de mur, qui reposait lourdement sur la partie inférieure de son corps.

" Ne dirait-on pas que c'est de la brique ?

- Le sens du détail vous revient.

- Mais oui, tout n'est pas si mal.

- Que sont des jambes, quand la tête est sauve !", renchérit le bonhomme.

Les autres s'étaient tus et écoutaient avec attendrissement. Alors que notre homme sentait venir un peu de réconfort, il se rappela que le temps filait. Il réfléchit quelques secondes et finalement se trouva fort embarrassé.

" N'y a-t-il vraiment rien à faire au sujet de ce mur ?

- Monsieur, vous devriez attendre les secours.

- Je comprends."

Il se tût un moment.

" Et pour les jambes, sont-elles... ?

- Ah, pour les jambes...

- Eh bien ?, s'entêta l'homme pressé.

- Je vous ai dit, Monsieur : la tête est sauve. C'est un miracle. "

"Vraiment, se disait l'homme pressé, cette situation est bien ennuyeuse." On crut sans doute deviner quelles tristes pensées l'agitaient et on se garda de souffler mot, guettant sa réaction, non sans inquiétude. Finalement, il demanda très poliment :

" Voudriez-vous pousser un peu ce mur du côté de ma tête ?

- Vous êtes fou, cela vous tuera !, s'écria-t-on.

- La mort vient de me donner rendez-vous. Soyez gentil, ne la faites pas attendre."

On fit donc comme il voulait et on poussa le mur du côté de sa tête. Ainsi notre homme n'attendit pas le lendemain pour rendre le dernier soupir, allant au devant de la mort, comme il l'avait fait de tout. Ironie du sort, le corps dut, quant à lui, patienter un petit jour avant son rendez-vous au cimetière, car on était un dimanche au lendemain du trépas.

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A
Lire ce texte aujourd'hui,, je veux dire justement aujourd'hui, c'est avoir une impression "italienne" que le temps, l'heure écrite, jouent les répliques de celles, sismiques, que la terre fait endurer aux hommes trop près des murs, aujourd'hui, en effet... Le tremblement de temps. La réplique provoquée par les passants, sorte d'euthanasie ? Pas de tremblement devant la mort ici, en tout cas...
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G
Merci pour votre commentaire. L'évocation fortuite et involontaire d'un événement bien réel – trop hélas – me fait songer au pouvoir décidément très surprenant de l'absurde. Une fois de plus, réalité et fuite du réel viendraient-elles de se refermer en une seule et même boucle ?